Ce soir Dieu danse.
Dieu a des dreadlocks grises et des New Balance plus tellement blanches qui ont connu des jours meilleurs. La veille il trimbalait un sac poubelle plus grand que lui sur la plage et cherchait à faire du stop pour rejoindre le village. Dieu a de la bedaine et le sexe a l’air. De son membre ne jaillit ni lumière ni vérité ni plaisir. Dieu est impuissant. Ce soir Dieu tourne en rond, comme tout le monde. La ronde se faufile entre les tables, se reserre et se desserre. Dieu s’entoure de jeunes enfants et de jolies femmes. Dieu se mouche dans une serviette en papier, une plume noire plantée dans ce qui autrefois était des cheveux, il danse avec une créature à la poitrine siliconée, il porte t-shirt qui dit « You have to go Greek once a week ».
Dieu est un croisement entre un maquisard crétois et un maître yogi. Une sagesse trempée dans l’ivresse, le regard de la folie. Une folie douce. Dieu a soixante ans et l’univers est en préretraite.
Hier on avait refusé de le prendre en stop par peur qu’il ne s’asseye nu sur la banquette arrière de la Fiat. Ce soir il n’est pas rancunier. Le Dieu de la vengeance et de la colère réserve son courroux pour un autre jour. Pour l’instant il est pardon. Dieu a un IMC de 32, il flirte avec l’obésité morbide et avec sa partenaire aux jambes fines et au décolleté profond. Il a plus une silhouette de déesse de la fertilité que de démiurge. Lorsque Dieu sautille d’un pas divinement léger son ventre remue et c’est tout l’univers qui est secoué. Ce soir l’univers remue au rythme du bouzouki. Dieu se querelle avec l’orchestre, on lui dit que la prochaine chanson est une commande privée, on lui fait comprendre qu’il faudra libérer la piste de danse pour le commanditaire. Dieu se heurte au capitalisme. Même la musique est possession de nos jours, alors que lui n’est que partage, il change de partenaire encore et encore. Dieu se résigne. La vengeance viendra plus tard, un tir groupé quant à faire. Un cataclysme.
Je retourne sur la plage dans l’espoir de retrouver Dieu. Pour moi la mer a toujours été une religion. Avec un peu de chance et beaucoup de bière Dieu aura tout oublié.