Les murènes ne sont pas venues. Yassonas avait beau jeter les entrailles des sardines dans l’eau mais ce matin les murènes ne répondaient pas à l’appel du ventre. Des sardines comme ça on n’en voit pas tous les jours m’a t’il dit, j’en ai acheté deux kilos. Il va les préparer au four avec du persil, j’ai envie de lui demander de m’inviter pour dîner. Une paire de crocks aux pieds, une boucle d’oreille, les cheveux attachés et l’eau jusqu’aux genoux il rend à la mer ce que les pêcheurs ont pris plus tôt. Je lui lance « je commence à comprendre pourquoi tu aimes ta vie ici », il rit, les mains pleines d’écailles et la bouche pleine de bonheur. A ce rythme il en a au moins pour une demie-heure, le temps de tout nettoyer. Des murènes je n’en avais jamais vu sur cette plage, un fond sablonneux plus propice aux raies et aux limandes. Mais c’est peut être ça la magie de Tahiti, faire surgir les monstres là où on ne les attend pas. Le soir dans l’appartement de Dimitri, son voisin, les deux musiciens échangent le ukulélé et la guitare tour à tour. Un moustique suicidaire en guise de métronome revient à intervalle régulière interrompre Dimitri. Il lâche l’instrument, saisit une tapette à mouches rose criard avant d’écraser la pauvre bête sur le mur. Yassonas en bon professeur commente : anopheles signifie en grec sans utilité. Ce soir l’inutile n’a pas sa place dans ce monde, en tout cas pas dans ce deux pièces cuisine de 25 mètres carrés. Avant de reprendre tous les deux le morceau interrompu Dimitri sort du frigo une nouvelle bière qu’il sert de façon équitable entre nos trois verres. Cet après midi là J était allé se baigner mais avait trouvé l’eau pas très claire, « il y avait des saletés qui flottaient » m’a t’elle dit… Les murènes n’était définitivement pas venues.