Les frères

Les amitiés qui se forgent dans l’alcool du soir sont solubles dans le café du matin. Les deux frères me trouvent sympathique, ils m’ont adopté. Les deux frères qui ne sont plus trois me font une place dans leur hôtel et dans leur quotidien. Chaque question, chaque réponse se poursuit par un long regard qui fait barrage à la parole. A la question où se trouve le troisième frère on me répond qu’il est mort. C’était le plus jeune. C’est tout ce qu’on me dit. Je me demande si le nom de l’hôtel a été donné avant ou après le drame, si c’était un projet ou un hommage. Je me dis que c’est peut être pour ça que les deux frères boivent, en souvenir du troisième. Soudain leur ivresse triste me semble acceptable, touchante. On me propose un café que je refuse, refuser un café c’est comme refuser une poignée de mains.
Perdre un parent c’est être orphelin, perdre un époux c’est être veuf, mais perdre un frère n’a pas de mot. C’est cette absence de mot qui prolonge chaque phrase par un silence, c’est l’indicible qui se poursuit dans le regard.
Une fois les derniers nuages dispersés et le ciel redevenu bleu la mer est pourtant restée grise toute la journée. Elle portait les couleurs d’un ciel disparu, le reflet de l’absence.
Quand le grand bateau arrive on se précipite au port uniquement pour voir les passagers débarquer et d’autres embarquer, dans le vain espoir de retrouver un visage familier dans cette foule inconnue, on demande aux gens d’ailleurs de nous faire oublier les gens d’ici. Quand la passerelle s’ouvre on porte tous ses espoirs sur les entrailles du monstre. Ici l’espoir est rouillé et il crache une épaisse fumée noire.
Le lendemain matin, quand on me souhaite une bonne journée je me prends à croire qu’il reste quelque chose des épanchements de la veille, que certains aveux résistent à l’épreuve de la sobriété et que les mots comme l’eau finissent toujours par trouver leur chemin.

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