Les musiciens

Le bip du tableau de bord devient de plus en plus insistant, d’un geste Triantafilos me signifie qu’il est inutile d’attacher ma ceinture, lui non plus n’a pas la sienne. Le bip rappelle celui d’une salle de soins intensifs, la veille il avait conduit d’urgence son fils à l’hôpital, le médecin du village craignait une péritonite, à bord d’un bateau de nuit il l’avait évacué vers l’hôpital le plus proche. Il en est revenu avec une prescription qui mentionnait un bouillon de poulet et du poisson grillé. Il est parti pour un diagnostique, il est revenu avec une liste de courses. Les hôpitaux fonctionnent avec des remèdes de grands mères. Le poids de la tradition pèse encore lourd. Sa femme est sceptique, elle se dit que si elle avait accompagné son fils aux urgences le diagnostique aurait été autre. Faute de mieux on remplit le coffre de pastèques et de tomates.
Triantafilos conduit avec prudence, presque avec nonchalance, il était parti en ambulance il revient en fourgon funéraire, au détour d’un virage de montagne il me dit à voix basse que les musiciens reviennent ce soir, que c’est un secret, qu’il ne faut pas le dire, que si la mer le permet ils embarqueront cet après midi sur le bateau de pêche blanc. Ici la musique commence quand le vent s’arrête. Il viennent pour la soirée, mangent, boivent, puis commencent à jouer une fois rassasiés, alors les notes commencent à échapper de leurs doigts, comme une pluie hésitante avant de se transformer en déluge. Ils commencent à jouer tard et finissent encore plus tard dans la nuit, quand les touristes sont partis et que les irréductibles locaux ont épuisé leur répertoire. Les chansons sont connues de tous, comme des prières, certains chantent d’autres récitent, plus qu’ils n’écoutent ils vivent cet instant. Une fois les assiettes vides et les instruments fatigués ils repartent sur leur barque dans le cœur de la nuit. Le lendemain matin le village est désert, il ne reste que le désordre dans la cuisine.
Quelques jours plus tôt, quelques kilomètres plus au sud, alors que Michali venait de poser sa lyra après avoir joué une mélodie triste qui flirtait avec le silence, encore sous le sortilege de sa musique je lui ai demandé à quelles occasions il jouait. il me regarda l’air de ne pas comprendre, j’insistais, à quelle fréquences jouait-il, était ce des jours particuliers de la semaine ? Ou à certaines occasions ? Après un long silence, il répondit « on joue quand on en a envie »…

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