Paola (1)

Paola parle un anglais approximatif avec un accent délicieux.
Paola marche avec des béquilles suite à un accident de ski, des scampela dont elle s’aide pour entrer dans l’eau avant de les jeter sur la plage.
À chaque fois que Paola me croise elle m’adresse un chaleureux Ciao! qui peut contenir toute la tendresse du monde à lui tout seul.
Paola grimpe au sommet des montagnes avec une jambe dans le plâtre et un béquille en guise de bâton de marche.
À la question « avez-vous faim ? » elle me répond « i’m always hungry », et là je suis définitivement conquis.
Tous les jours je me rends à la boulangerie, une heure de marche aller-retour pour acheter le déjeuner. J’achète pour deux puis je prétends en avoir trop et lui propose de partager. Elle accepte toujours.
Paola fait du topless. Lorsque je l’approche elle fait mine de dissimuler sa poitrine sous un livre. Elle lit un roman policier sur un serial killer, avec l’accent. Et je me souviens de la scène de la confrontation avec le critique cinéma dans Caro Diario.
Paola est particulièrement bien foutue. Paola est blonde. Paola est mariée, Paola a un fils de dix-huit ans, Paola est trop vielle.
Paola voyage avec sa mère. Sa mère à attrapé froid. Lorsque la mère de Paola tousse elle pète. Et tout le monde fait semblant de rien. Ce n’est pas sa gorge qui est enrouée mais son sphincter.
Le dernier jour, sur la plage, Paola se présente à moi et me serre chaleureusement la main, voulant connaître l’identité de l’homme qui l’a nourrie jour après jour. Tout est chaleureux chez Paola. Sous le coup de l’émotion j’ignore si je me suis présenté en retour.
Le soir du départ je la croise encore, sur le quai. Elle me lance de nouveau un Ciao! qui fait vibrer tous les os de mon squelette. Elle a troqué l’une de ses deux scampela pour une paire de lunettes. Elle me demande « alors ça y est, tu t’es décidé, tu pars ? » je réponds un « yes, definitley ». J’ai envie de lui préciser que « definitely » c’est « assuramente » et non pas « plus jamais »… Elle a un geste, un geste tendre, un geste chaleureux, elle me touche les côtes alors que j’embarque sur le ferry, traînant derrière moi deux valises noires comme le regret.
Le dernier jour sur la plage sa mère m’avait dit : « tu ressembles à Robert De Niro, jeune… » Malgré mon ventre, l’huile solaire qui me fait la peau grasse, les piqûres de moustiques et les épinards du spanakopita coincés entre les dents… Finalement ce n’est pas d’aérophagie dont souffre la sainte femme mais de cataracte.
Ce soir, entre les murailles de la vieille ville de Rhodes, un guitariste joue dans le noir là thème de Deer Hunter, et je me souviens de Robert De Niro avec Meryl Steep… et je me souviens de Paola.
La veille, sur le quai, dans l’attente que la lumière du bateau jaillisse dans la noirceur du port je lâche à Lefteris « ce sont les souvenirs qui nous tuent ». Je me surprends moi même. Écrasant les suspensions de sa Vespa de ses 160 kilos il me répond « ce sont les souvenirs qui font ce qu’on est, les souvenirs sont le fondement de notre identité. » La traversé se passe en silence. J’ai trop de souvenirs. Je n’en veux plus.

2016

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *