Anna a fait un AVC. Elle était partie se coucher plus tôt que d’habitude, à 22 heures, elle s’était sentie bizarre. Jamais elle n’avait fermé son kafenion aussi tôt. Le lendemain on l’a retrouvé dans son lit paralysée. Vu la distance de l’hôpital on a préféré la conduire directement aux urgences plutôt que d’attendre l’ambulance. On dit qu’elle va mieux, qu’elle se remet lentement. A 74 ans je ne vois pas comment on peut aller mieux. A un âge où on a pris sa retraite depuis longtemps elle songe à la reprise. En attendant se sont le voisins qui tiennent le commerce. Le kafenion est un lieu de première nécessité. On n’imaginerait pas boire un café à la maison. Personne ne peut la remplacer, personne n’en a la prétention. On improvise, on s’adapte à son mode de fonctionnement. Pas de congélateur. Pas de glaçons. L’ouzo avec glaçons est servi sans glaçons. Je n’ai jamais vu Anna, mais sa présence est visible dans chaque détail du lieu, je la cherche sur les photos accrochées aux murs. Les prix sont ridicules, comme pour s’excuser de facturer les consommations… Après tout on est comme à la maison ici. Une maison sans les épouses, encore mieux. Un lieu tenu par une femme fréquenté par aucune autre femme.
Le vieil arbre devant le kafenion est malade, il croule sous son propre poids, son tronc est creux, ses branches sont sur le point de lâcher prise, tout en lui tend vers la mort. C’est une structure qui ne supporte plus son propre poids. Le bois est mort mais les branches portent encore des feuilles. On dit que sur les morts les cheveux et les ongles poussent encore. Quelqu’un a essayé de le réparer plus que le soigner, des gestes maladroits, d’ultimes recours pour retarder l’inéluctable, on a coulé du ciment en son cœur puis on l’a cerclé d’une sangle. Il est dans un état de mort clinique, un état végétatif.
Anna reviendra avant qu’on ne le débranche.