Maria se perd dans ses tickets de loterie, elle en a trop acheté. Elle est allée chez le coiffeur. Je dis qu’elle ressemble à Jackie Kennedy, J me demande si c’est un compliment, je lui dis et comment, elle dit à Maria qu’elle ressemble à Jackie Kennedy, Maria ne comprend pas… ah … Zaki Kennedy ! Merci ! La veille on l’a surprise sous le pare-chocs arrière d’une Peugeot 206 en train de rafistoler un bout de tôle avec de l’adhésif. La moitié du pays tient avec de l’adhésif. Tous les magasins vendent de l’adhésif, le minimarket, le supermarché, la papeterie, le magasin de bricolage… de l’adhésif transparent, de l’adhésif noir, de l’adhésif gris… Les îles sont des fragments, des débris de continent qui ne demandent qu’à être recollés. Maria nous explique que depuis que sa fille était malade et qu’elle a guéri elle a fait le sermon de marcher pieds nus toute la route jusqu’au monastère le jour du festival. Elle ôte ses sandalettes en plastique et retire ses chaussettes pour nous montrer ses pieds. Elle touche ses deux pieds avec ses deux mains pour nous faire comprendre l’effort et la souffrance. Rares sont les fois et les lieux où un cuisinier touche ses pieds devant les clients avant de passer aux fourneaux.
C’est le 27 qui a été tiré au sort, Manolis le mari de Maria a le bon ticket, il a remporté l’icône. Il a remporté l’icône et Zaki Kennedy.
Le bateau de Manolis est sorti de l’eau à cause du mauvais temps. Un arc en ciel touche sa proue. Manolis est touché par la grâce. Mais ce soir il est surtout touché par le vin blanc. Maria nous raconte que Manolis se lève toutes les nuits, toutes les heures, pour regarder la mer et son bateau à travers la baie vitrée de la taverne. Mais ce soir Manolis se noie dans le vin, il nous entraîne vers le fond et nous ressert un verre.
Le monastère est caché dans la montagne, précédé par un immense parking. Les monastères sont comme les centres commerciaux, d’abord il faut construire le parking. Je fais remarquer à J qu’il y a plus de voitures que de personnes. Le monastère n’ouvre qu’un jour par an, pour le festival, c’est un pop up. Je mange dans l’assiette de quelqu’un que je ne connais pas. Je mange du foie de chèvre haché dans l’assiette de quelqu’un que je ne connais pas.
En cette nuit du premier février la route du monastère est pavée de boue et d’étoiles. Le ciel est tellement illuminé par les astres que je ne comprends pas comment la nuit peut être aussi noire. Les pickups nous dépassent un à un en mode plein phares. Une colonne de lumières rouges serpente lentement dans la montagne. La libraire danse en pantoufles, une vieille dame me demande si j’ai fini mon assiette, elle vide mes restes dans un sac en plastique pour son chien. Les enfants sont là pour jouer, les vieux sont là pour récupérer les restes. Manolis porte ses habits du dimanche mais il garde son bonnet de pêcheur toute la soirée. Maria a honte. Je surprends kiki la conductrice du taxi sous un énorme plateau, ce soir elle fait le service.
Je me demande qui a eu l’idée d’organiser cette fête si loin de tout. Ca n’a pas de sens. La distance accroît le plaisir. Certaines choses doivent être difficiles à atteindre, pieds nus ou pas. Ici on est loin de tout, ici on est aux antipodes de la logique. Je suis parti en pleine crise de la quarantaine, la crise de la quarantaine hurlante. Ici le vent a balayé la raison. Les fous sont heureux. C’est bon de voir des hommes heureux.